DOSHIN, LE QUATRIEME PATRIARCHE

Successeur de Sosan et maître de Konin, Doshin (Daoxin ou Tao-hsin, en chinois) est la quatrième patriarche dans la lignée du zen. Célèbre notamment pour sa ferveur et son assiduité à la pratique de zazen mais aussi pour ce qu'il est à l’origine de la tradition monastique du Zen.

 

 

 

 

 

 

 

          " L'ESPRIT QUI CONSIDÈRE L'ESPRIT EST BOUDDHA. "

 

      Doshin fait partie de la grande légende du zen chinois. Successeur de Sosan et maître de Konin, celui qui remettra le kesa à Eno, maître Doshin est né en 580 au nord du fleuve Jaune, dans l'actuelle Anhuei. Il commença très tôt à étudier le bouddhisme, à l'âge de sept ans, d'abord sous la direction d'un maître sans doute un peu excentrique, puisque les textes disent élégamment que sa conduite morale impure n'empêcha pas Doshin de continuer à protéger les Kai et les règles. Il rencontra Sosan (Sengcan) à quatorze ans. Le fameux Recueil des Cinq Lampes nous rapporte leur mondo:

Doshin prit la parole:

"Je demande la compassion du Maître. S'il vous plaît, dites-moi comment réaliser l'Eveil?"

Sosan lui demanda:

"Et ce qu'il y a une personne qui t'entrave?

- Non, il n'y a personne, répondit Doshin.

- Alors, dit Sosan, pourquoi rechercher la libération, si personne ne t'entrave?

Doshin réalisa alors le Grand Eveil.

Après cette rencontre, Doshin suivit Sosan et le servit pendant neuf ans. Puis Sosan décida de partir dans la montagnes mais interdit à son disciple de le suivre: tu dois rester ici et répandre le Dharma, lui dit-il en substance. Doshin part alors étudier dix ans au Temple des grands Bois, sur le mont Lu. Là, il continue zazen mais il étudie et pratique aussi des techniques ésotériques Tientai (autrement dit le bouddhisme Tendai, encore actif au Japon de nos jours). Il va s'employer aussi à la récitation mantrique du nom du Bouddha. Bref, Doshin va pratiquer d'autres techniques que le zen pendant une période de sa vie. Il reste cependant connu pour avoir été un grand pratiquant de la posture à l'égal de Boddhidharma.

  De cette période date une anecdote qui l'avait rendu célèbre. En déplacement dans le Jiangxi, Doshin entra dans une ville assiégée par des bandits. Les habitants n'avaient plus rien à manger et les puits eux-mêmes se tarrissaient. Après les avoir réunis, Doshin leur enseigna le sutra de la Prajna Paramita (celui que nous chantons après le zazen) et le leur fit réciter. Les eaux se seraient mis alors à jaillir des puits et la population, galvanisée par la foi, auraient repoussé les bandits.

Le patriarche finit par aller fonder son Temple de la montagne de l'Est, sur le mont Shuangfeng ("le mont des Deux Cimes"), après avoir vu un curieux nuage pourpre planer au dessus de l'endroit. C'est dans ce Temple du Mont des deux Cimes que Eno va écrire son poème; de ce monastère qu'il va fuir avec le Kesa. Là, pendant trente ans, Doshin va enseigner la Voie, formant quelques cinq mille disciples. Le Temple pouvait en accueillir jusqu'à cinq cents à la fois. 

 En 643, le grand empereur Tai Zong (T'ai Tsung), fondateur de la dynastie Tang, l'invita à plusieurs reprises mais Doshin refusa en disant: "Vous pouvez partir avec ma tête, mais mon esprit ne vous suivra jamais". Tai Zong envoya finalement un messager chargé de revenir avec sa tête. Doshin tendit le cou et la présenta au soldat tétanisé en lui criant: coupez-la. Cette réponse suscita l'admiration de la cour.

Le Compendium des Cinq Lampes relate aussi la rencontre entre Doshin et un yogi forestier, et l'enseignement que donna le patriarche à cette occasion. Le texte se trouve dans la rubrique "textes et sutras".

 

 

LE PREMIER MONASTÈRE CH'AN

 

Doshin arrive à une période cruciale du Ch'an. Ses prédécesseurs avaient traversé des temps troublés, menant des vies anonymes, toujours en déplacement, mais à présent la paix est revenue. L'empire est de nouveau unifié. Nous sommes au début de la grande période Tang. La paix s'installe et, partant, la prospérité. Le nombre de pratiquants grossit. Doshin va faire passer le ch'an d'une pratique de yogi forestiers sans attache fixe à une vie organisée en monastère. C'est le fondateur du premier Temple Zen. 

Jusque là, le ch'an et le bouddhisme en général se heurtaient en Chine à une grande hostilité des confucianistes et des taoïstes: la Voie du Bouddha n'était pas une religion nationale. Les nationalistes l'accusaient de détruire l'ordre naturel et spécialement la famille que le confucianisme sacralise. Dans ces temps de guerre et d'épidémies, le manque d'hommes rendait insupportable l'appel au célibat monacal. 

Religion de l'étranger, religion contre la famille, on reprochait au bouddhisme, et jusqu'à l'oreille des empereurs, de parasiter la société. Tous ces moines fous, tous ces yogis errants de quoi vivaient-ils sinon de la charité publique de ceux qui travaillaient et se battaient pour l'Empereur?

Doshin va établir un modèle de monastères pérennes où l'on travaille, où l'on sème, monastère qui ne demande ni dons des puissants ni aumône des riches. Ce modèle aidera le Zen à traverser les futures périodes de guerre ou de disettes. 

Comme le fera plus tard Keizan Jokin au Japon, Doshin va répandre le Ch'an et en faire le succès en y intégrant des pratiques plus ésotériques, moins orthodoxes, mais sa soif de zazen, son 'avidité' à la posture ne passeront jamais. Dans son temples et pour des siècles on va se livrer à une pratique intense du zazen.

 

 

 

En 651, à l’âge de 72 ans, Doshin demanda à ses disciples de lui construire un mausolée sur le flanc de la montagne. Quand tout fut prêt, Konin choisi comme successeur, Doshin s’y installa en zazen et déclara: "Toutes les pensées et les phénomènes sont libres de souffrance et d'illusion. Que chacun de vous garde bien cela à l'esprit et propage cet enseignement dans le futur." Après quoi, il mourut tranquillement. Les disciples refermèrent le mausolée mais quand ils l’ouvrirent, un an plus tard, ils découvrirent que le corps et le visage de Doshin n’avaient pas bougé. Ils le recouvrirent alors d’un kesa laqué et laissèrent la porte ouverte.