• EKA: j'ai déja pacifié ton esprit

    EKALa vie de maître Eka, successeur de Boddhidharma, et deuxième patriarche du Zen.

     

     

     

     

     

     

     

     DU SANG DANS LA NEIGE

    EKA

    Si Boddhidharma représente la quintessence du maître zen, Eka (Huike en chinois) est sûrement le symbole du vrai disciple. Il serait né en 487 et mort en 593 mais ces dates sont à prendre avec des pincettes - une grande obscurité entoure la vie du deuxième patriarche.

    Si l'on en croit les textes chinois, il serait né au Henan, aurait reçu dans sa jeunesse une solide éducation taoïste et confucianiste, aurait ensuite commencé sa vie monastique auprès de maître Baojing avant d'aller trouver Boddhidharma au monastère de Shaolin, en 528. Il se présenta devant la chambre du maître et dit:

    "Je cherche un maître pour ouvrir les portes de l'élixir de la compassion universelle pour sauver tous les êtres."

    Boddhidharma leva les yeux sur l'inconnu et grogna:

    "Comment espérer trouver le vrai Dharma avec si peu de sagesse, si peu de vertus, et autant d'arrogance? " 

    C'était l'hiver. La nuit tombait. Il se mit à neiger à gros flocons. Tout fut bientôt couvert de neige,  Eka, la montagne, le petit monastère. Dans l'obscurité, le silence et le froid, il attendait, sans se décourager, sans bouger, sans rien dire. Il eut bientôt de la neige jusqu'à la ceinture. Au petit matin, il s'ébroua, sortit un sabre et se trancha un bras. Il fit quelques pas en avant et le présenta à Boddhidharma. Celui-ci, impressionné par sa détermination, l'accepta pour disciple. 1

    Eka lui dit:

    - Mon esprit ne connaît pas la paix. Je vous en prie, pacifiez-le.

    Boddhidharma répliqua:

    - D'accord. Apporte-moi ton esprit et je le pacifierai.

    - Je l'ai cherché, mais je n'arrive pas à le saisir. Aussi, je ne peux pas vous l'apporter.

    - Alors, conclut le maître, j'ai déjà pacifié ton esprit.

     

     

    LA MOELLE DU MAÎTRE

    EKAPendant six ans, Eka étudia aux côtés de Boddhidharma le Lankavatara sutra et pratiqua zazen.

    La légende dit qu'un beau jour, Boddhidharma - sentant sa fin proche - appela ses disciples et leur dit:

    - Que chacun d'entre vous dise quelque chose pour montrer sa compréhension de la Voie.

    Dao Fu s'avança et dit:

    - Ce n'est pas lié aux mots ni aux phrases, mais ce n'est pas non plus séparé des mots et des phrases. c'est cela, la nature de la Voie.

    - C'est bien, dit Boddhidharma. Tu as obtenu ma peau.

    La nonne Zong Chi prit à son tour la parole.

    - C'est comme un éclair glorieux au royaume du Bouddha Akshobhya. Une fois qu'on l'a vu, il n'est pas nécessaire de le revoir.

    - Toi, dit le maître, tu as obtenu ma chair.

    Dao Yu dit alors:

    - Les quatre éléments sont tous vides. Les cinq skandhas sont sans existence propre. Pas un seul Dharma ne peut être saisi. 

    - Tu as obtenu mes os, déclara Boddhidharma.

    Finalement, Eka se leva, se prosterna devant son maître et se redressa sans un mot.

    - Toi, Eka, affirma Boddhidharma, tu as obtenu ma moelle.

     

     

     LE MOINE ERRANT

    EKAAprès avoir reçu la transmission, le bol, le kesa du maître et un exemplaire du Lankâvatâra sutra, Eka partit du temple et retourna dans le Henan où il mena des années une vie anonyme au milieu du peuple. Les temps étaient troublés. Le royaume des Wei du Nord venait d'éclater en deux nouveaux royaumes. Rebellion, révolte, répression, flots de réfugiés, désorganisation du pouvoir, tel était la situation de la Chine du nord en ce sixième siècle. Le bouddhisme, religion officielle au royaume de Liang, devait affronter chez les Wei de lourdes rivalités de la part du clergé en place (confucianistes et Taoïstes) qui faisait tout pour discréditer cette religion étrangère auprès de l'empereur.

    "Eka, nous dit Deshimaru, voyagea et fit des sermons. Il travailla comme boucher, nettoya les toilettes, fut aubergiste. Jusqu'à sa mort il fit des travaux tout à fait difficiles. Parfois il laissait échapper les boeufs et les propriétaires se fâchaient. Lorsqu'il était aubergiste, parfois il mettait de l'eau dans le saké ou inversement. Au cours de sa vie il expérimenta beaucoup de choses. Ses sermons impressionnaient tout le monde et les gens aimaient se rassembler pour écouter Eka. Il ne vécut pas dans un temple et n'avait pas de dojo. Il éduquait dans la rue."

    Ce n'est que quarante ans plus tard, pendant les premières persécutions contre le bouddhisme qu'Eka trouva refuge sur le mont Wangong, près du fleuve jaune, chez Tan-Lin, qui était un disciple de BoddhidharmEKAa ou d'Eka. C'est ce Tan-Lin qui aurait écrit le Traité de Boddhidharma (voir l'article sur ce dernier). C'est dans ces lieux que Eka aurait rencontré Sosan, son successeur et lui aurait donné la transmission. Quant à la suite, les sources proposent plusieurs versions plus ou moins contradictoires. C'était de toute façon un moine errant qui continua à cheminer jusqu'à sa mort et prêcha sans se lasser le vrai Dharma, parfois dans des tripots, parfois dans des bordels. Il aurait été exécuté en fin de compte sur l'ordre d'un préfet, victime des calomnies de religieux jaloux. De sa tête tranchée aurait coulé, non du sang, mais un liquide blanc comme le lait. 

     

     Dôgen a écrit ceci:

    Si Eka n'avait pas pratiqué gyoji, vous n'auriez pu être satisfait au sujet de l'essence du bouddhisme, ni toucher le vrai Dharma. 

    Il n'aurait pu être transmis de patriarche en patriarche, aussi devons-nous une grande reconnaissance envers tous les patriarches. 

    Cette gratitude ne peut être recouverte par aucune méthode, ni par aucun autre dharma. Même l'abandon de l'égo, du corps et de la vie est insuffisant.

     

     

     EKA

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    1 Néanmoins, selon le Nouveau Recueil de biographies de moines éminents, son bras fut tranché ultérieurement par des brigands. A cette occasion, Eka serait resté complètement paisible.

     

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