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Le Bouddhisme est-il une réforme de l'hindouisme?
On peut lire ici ou là que le Bouddhisme est une réforme de l'hindouisme, comme le protestantisme par rapport au catholicisme. Vrai ou faux? Explication, état de la religion au temps du Bouddha.
LES VEDAS ET LE VEDISME
2500 ans avant le Bouddha, des peuplades indo-européennes, les "aryens" (nobles, en sanscrit), venues du Nord-ouest s'installent dans le sous-continent indien, refoulant des populations plus anciennes: les dravidiens. Ces dravidiens sont les habitants d'origine. Apparentés aux aborigènes, leur peau est plus sombre, ils parlent des langues qui n'ont rien à voir avec la famille indo-européenne et leur(s) religions(s) est animiste. De nos jours on retrouve des ethnies dravidiennes dans le sud, les Tamoul par exemple, et toutes les tribus qui pour certaines vivent encore à l'age de pierre dans le centre désertique de l'Inde.
Comme tous les peuples indo-européens, les Aryens apportent avec eux un système de pensée, une langue - l'ancêtre du sanscrit et de l'hindi moderne - des innovations technologiques et, pour ce qui nous concerne ici, un système religieux cohérent: le védisme.
Ce système religieux est basé sur des rituels complexes qu'il faut accomplir pour protéger la communauté et s'attirer les bonnes grâces des dieux. Le feu et le soleil ont une importance capitale dans ce culte. Les prêtres chargés des sacrifices et des rituels sont les Brahmanes, bien distingués des guerriers (kshatryas), des paysans (Vaisya) et des serfs.
Au cours des siècles, les règles de sacrifices, les hymnes, les poésies et les mythes sont couchés sur le papier et deviennent les Védas, qui sont les Ecritures Sacrées de l'hindouisme. Les plus anciens textes des Védas dateraient de 1500 av. J.C. et sont écrits dans un sanscrit archaïque - le sanscrit védique. On parle donc de religion védique. Ces textes immémoriaux sont peu à peu considérés comme une Parole révélée inspirée par les Dieux et transmise par les Rishis, les grands sages du passé.
LE YOGA
Ce système religieux se heurte au yoga, déjà pratiqué en Inde depuis des milliers d'années. La plus vieille sculpture d'un homme dans une posture de yoga a été retrouvé sur le site de Mohenjo-Daro et date sans doute de 3500 av.J.C. Le yoga n'est pas une invention indo-européenne, mais dravidienne. Il est plus vieux que le védisme.
Le yoga est un ensemble de techniques corporelles et respiratoires visant à maîtriser l'esprit, le corps et le souffle pour aller au delà de l'égo (et éventuellement acquérir des pouvoirs magiques). Le yoga himalayen (souvenons-nous que le Bouddha est né au Népal) est très austère: son idéal est de détruire les passions et l'égo en renonçant au monde. Combattu d'abord par le védisme, il a fini au fil du temps par être récupéré et intégré à la religion hindoue. Une partie des techniques yogiques ont également intégré le bouddhisme tibétain - Naropa ou Tilopa par exemple, à l'origine de l'école Kagyu, étaient des grands yogis, qui ont transmis les techniques du feu interne (toumo).
VEDA VERSUS YOGA
Alors, pourquoi Védisme et Yogisme se heurtent-ils? Parce que le yoga est un effort individuel de libération, alors que le védisme est basé sur des rituels sociaux accomplis par la communauté et pour la communauté. Parce que, de plus, il n'y a pas de rites dans le yoga ni de sacrifices, tandis que c'est le coeur même du védisme: la parole et le geste exact du brahmane ont une valeur magique, un résultat. Dans le yoga, le résultat vient de la discipline de l'esprit et du souffle, de la circulation des énergies à travers le corps. En outre, le yoga ne reconnait ni classe sociale, ni caste, et dans une large mesure n'est pas concerné par la religion. Les dieux n'y jouent pas vraiment de rôle, même si on parle de conscience divine.
Enfin le yoga ne s'intéresse pas à la société, à son organisation, tandis que le védisme au contraire propose et impose un modèle de fonctions (prêtres, guerriers, paysans et cerfs) et de catégories, les castes avec chacune des devoirs, des rituels et des sacrifices à accomplir pour la bonne marche du monde. Le renonçant yogi, lui, se place hors de la société.
Le yogisme et toutes ses branches sont donc, peut-on dire, un système individuel de 'franc-tireurs', à l'opposé du védisme communautariste et social.
A L'EPOQUE DU BOUDDHA (5° av.J.C.)
Au fil du temps, le védisme évolue vers le brahmanisme. Dans ce nouvel état de la religion hindoue, les prêtres (brahmanes) ont acquis un rôle majeur, supérieur même à la classe des guerriers. Le système des castes s'est complexifié et renforcé, déterminant un destin social inexorable pour chacun, marqué par des notions de pureté et de souillure. On peut ajouter que les dieux ont perdu de leur importance au profit du rituel et des brahmanes. Indra et Varuna déclinent, Shiva, Vishnu et les divinités féminines montent en puissance.
En résumé, ce sont les brahmanes qui s'imposent dans une société élitiste plus figée comme les techniciens d'un culte complexe d'une religion très cérémonialiste.
Le brahmanisme connaît son apogée entre 1000 et 600 avant J.C. Il s'étend vers le sud, jusqu'à Ceylan et vers l'Est. Mais déjà certains textes, les Brahmanas, se livrent à des réflexions cosmogoniques et philosophiques plus poussées qui vont dépasser le pur cadre rituel, tandis que d'autres dénoncent carrément le ritualisme excessif. Le brahmanisme est en train d'évoluer lentement vers l'hindouisme.
Le yoga est intégré tant bien que mal à la religion hindoue, qui aspire à elle et assimile tout ce qu'elle ne peut éliminer. Deux siècles avant le Bouddha apparaissent les premières upanishad qui spéculent sur la relation entre le Brahman (Dieu, le Tout) et l'ātman, l'âme individuelle. Le yoga "classique" est en train de se fixer, avec ses branches, ses règles et ses techniques bien définies. (Le yoga est théiste mais Dieu, 'Ishvara', est passif; il ne joue aucun rôle. On peut cependant prendre Ishvara, "le seigneur" pour objet de méditation ou de dévotion)
Cependant, quelques années avant la naissance du Bouddha, les choses bougent brusquement. Darius et l'armée perse envahissent le bassin du Dekkan. Cette onde de choc accélère le remplacement d'un système d'états tribaux (dirigés par des conseils de tribu) par des royautés. On n'en compte alors pas moins de 16 entre l'Indus et le golfe du Bengale. Les brahmanes sont désormais chargés de renforcer la puissance du roi et de tout le royaume, grâce aux rituels. Ces changements politiques s'accompagnent de la survenue de deux grands réformateurs: Mahavira d'où sort le Jaïnisme et le Bouddha Shakyamuni. Jaïnisme et bouddhisme vont affaiblir durablement le rôle des brahmanes qui repasseront à l'offensive quelques siècles plus tard - mais il s'agit là d'une autre histoire...
Le Bouddha prêche dans un royaume brahmanique. Dans les sutras pālis, on le voit rencontrer et discuter longuement avec des brahmanes. Beaucoup de ses disciples sont issus de cette caste. Le brahmanisme est donc le décor de fond. Cependant, l'enseignement du Bouddha tranche complètement de la religion védique-brahmanique.
Jugez plutôt, à la lumière de tout ce qui précède:
- Le Bouddha ne parle d'aucun dieux. Dans les milliers de pages du Tipitaka on ne trouve aucune prière, aucun hymne, aucune invocation. Il rejette l'idée que le monde ait été créé par Brahma.
- Il est anti-révélationniste et donc nie l'autorité des Védas: aucun livre n'est la parole divine; on doit réfléchir par soi-même et ne rien accepter d'emblée.
- Pour le Bouddha les rituels, les sacrifices et les temples ne servent à rien: il nie donc l'utilité des brahmanes.
- L'Eveil est une démarche individuelle, comme dans le yoga, opposée aux rites sociaux du brahmanisme.
- Il n'y a pas d'âme (ātman), donc la réincarnation, l'après-vie, la rétribution des actes n'a pas d'importance. Toutes les spéculations sur ces sujets sont balayées: ceci est en contradiction absolue avec l'enseignement des Védas.
- Il est égalitariste: il nie les castes, fondement du brahmanisme. Selon le Bouddha, l'état de brahmane est donné par un comportement, non par une naissance. Il traite tout le monde à égalité, comme des humains capables d'éveil. On le voit ainsi parler à des commerçants, des rois, des brahmanes mais aussi des parias, des pauvres et autres intouchables. La notion de pureté ou de souillure extérieure est rejetée.
En outre, la seule pratique jamais recommandée par le Bouddha est la posture de dhyāna, jambes croisées, dos droit, etc. qui est la posture ultime du rājayoga, le yoga royal. Quand, par la maîtrise des autres postures, les nādhis (les circuits d'énergies) et le souffle sont en bon état de fonctionnement, on se concentre sur la posture de dhyāna.
Si on ajoute que le Bouddha a pratiqué des années auprès de yogis, en tant que yogi, qu'il a eu des yogis comme maîtres, la seule conclusion possible est que l'enseignement du Bouddha est l'expression la plus achevée, la quintessence du yogisme himalayen, mais en aucun cas une réforme de l'hindouisme dont tous les fondements sont rejetés.
Néanmoins, le Bouddha partageait un vocabulaire et des notions qui étaient admises universellement dans tout le sous-continent indien depuis les premières upanishad (6ème- 7ème av.J.C.) et qu'on peut résumer ainsi: "Tout est souffrance, tout est impermanent; le rôle de la religion est de libérer l'homme de cette souffrance. La réalité est caché par māyā, l'illusion dont il faut s'éveiller: grâce à la prajña (sagesse suprême) développée en samādhi par la pratique de dhyāna, le pratiquant atteint le nirvāna et met fin au kharma."
En appendice, voici les cinq réfrénements (yama) du yoga comparés aux cinq engagements du laïc bouddhiste. Les yamas sont les préliminaires obligés à toute ascèse:
- Ne pas tuer
- Ne pas voler
- ne pas mentir
- Ne pas avoir de relations sexuelle
- Ne pas être avare.
Et les cinq préceptes (panca-sila) du bouddhiste laïc du hinayana:
- Ne pas tuer
- Ne pas voler
- Ne pas mentir
- ne pas commettre d'adultère
- s'abstenir de boissons énivrantes.
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