OBAKU: l'esprit lui-même est Bouddha

De très nombreux maîtres ont affirmé: "l'esprit lui-même est Bouddha", jetant parfois la confusion dans l'esprit des non-pratiquants. 

Un extrait des Entretiens de Huang-Po (Obaku), traduit du chinois par Patrick Carré (Editions Points Seuil Sagesse).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Question: On dit toujours que l'esprit est le Bouddha. je n'ai pas compris de quel esprit il s'agissait.

- Combien d'esprit avez-vous?

- Pour m'exprimer autrement, est-ce l'esprit ordinaire ou bien l'esprit extraordinaire qui est le Bouddha?

- Où donc avez-vous un esprit ordinaire et un esprit extraordinaire?

- Les trois véhicules ont toujours parlé de l'ordinaire et de l'extraordinaire. Alors, pourquoi, Maître, dites-vous qu'il n'y a rien de tel?

- Les trois véhicules vous disent, à vous, et clairement, qu'il est faux de distinguer entre esprit ordinaire et esprit extraordinaire. Ne comprenant pas ce que cela signifie, vous partez dans l'autre sens en vous attachant à l'existence de l'esprit, en faisant du vide une chose concrète. C'est une grave méprise et cette méprise vous détourne de l'esprit. Quand vous aurez seulement chassé vos sentiments ordinaires sur l'extraordinaire, il n'y aura plus de Bouddha qu'en votre esprit. Le premier patriarche (Bodhidharma) est venu de l'ouest  pour montrer directement à l'homme la bouddhéité de tout son être. Mais vous ne vous en rendez pas compte, vous vous attachez aux concepts d'ordinaire et d'extraordinaire, vous galopez en tous sens, toujours en dehors de vous-même et, naturellement, vous vous détournez toujours plus de l'esprit. C'est pour cela qu'on vous dit que l'esprit est Bouddha. Qu'un instant seulement une émotion surgisse et vous tombez sur le coup dans une autre destinée. Aujourd'hui, comme depuis des temps sans commencement, il n'y a pas d'autre méthode spirituelle. Voilà pourquoi on parle d'Eveil total, égal et authentique. 

- Pour quelle raison, maître, dites-vous que l'esprit est le Bouddha?

- Qu'allez-vous chercher des raisons? A peine en trouvez-vous une que vous vous distinguez de l'esprit."

(L'essentiel de la méthode de transmission de l'esprit, ch. 11.)

 

 

 

Le maître monta en salle et prit la parole:

L'esprit est Bouddha. Depuis les Bouddhas tout là-haut jusqu'aux êtres animés qui grouillent tout en bas, tous ont une nature de Bouddha et forment ensemble la substance de l'Esprit Un. Aussi Bodhidharma ne quitta-t-il ses cieux d'occident (l'Inde) que pour transmettre la méthode de l'Esprit Un et pour montrer directement à tous les êtres qu'ils sont le Bouddha depuis toujours, sans qu'il soit besoin pour cela, même temporairement, de quelconques pratiques.

Reconnaissez dès à présent votre propre esprit et vous en saurez assez pour voir votre nature originelle sans avoir plus rien d'autre à chercher. Mais qu'est-ce que reconnaitre son esprit? "Celui qui parle en ce moment est précisément votre esprit." [maître Baso] car s'il ne parlait pas, l'esprit n'aurait pas de fonction. La substance de l'esprit est analogue au ciel. Elle n'a ni aspect ni forme, ni lieu ni direction. N'étant pas non plus un néant absolu, elle possède l'être, mais de manière non perceptible. Comme le dit le maître patriarche [Puryamitra à Prajnadhara, maître de Bodhidharma]: 

 

"La réelle essence, trésor de la terre de l'esprit,

N'a ni queue ni tête.

Répondant aux circonstances, elle convertit les êtres 

Par des expédients qualifiés de sagesse."

 "

On ne peut pas dire si elle existe ou non quand il ne lui faut pas répondre aux circonstances, mais à l'instant précis de la réponse, elle ne laisse aucune trace d'elle-même. Maintenant que vous savez cela, allez vous reposer dans le non-être et, ce faisant, vous suivrez le chemin de tous les Bouddhas. "Il faut avoir des pensées sans qu'elles ne se fixent." Dit le sûtra [du Diamant]. Tous les êtres vivants pris dans le cercle des morts et des renaissances gauchissent l'esprit à coup de mental. Cet esprit, alors, va et vient dans les six destinés où il ressent toute une variété de souffrances. "L'esprit des durs à convertir, dit Vimalakirti, est pareil à un singe. On peut, à l'aide de différentes méthodes, le contrôler jusqu'à en avoir une totale maîtrise." Or,

 

"Quand nait l'esprit mille choses naissent aussi,

Et quand l'esprit s'éteint mille choses s'éteignent." [Lankavatara Sutra]

 

Cela vous permet de savoir que tout est fabriqué par l'esprit, y compris les mondes humains, divins et infernaux, bref, les six destinées, anti-dieux inclus, tout cela est fabriqué par l'esprit. 

Exercez-vous uniquement au non-esprit, et les circonstances, tout d'un coup, s'apaiseront. Ne cultivez pas la discrimination qui n'est qu'un concept erroné, car il n'y a ni moi ni autrui, ni cupidité ni dégoût, ni haine ni amour, ni victoire ni défaite. Il suffit de chasser tous ces concepts erronés,  aussi nombreux soient-ils, pour que, du fait de votre essence primordialement pure, vous mettiez en pratique l'Eveil et le Bouddha en corps absolu.

Si vous ne comprenez pas cela, quelle que soit votre culture et en dépit de vos pratiques ascétiques, consistant à se nourrir de baies sauvages et à se couvrir de paille, vous ne reconnaitrez pas votre propre esprit. J'appelle 'activités perverses' toutes ces pratiques ascétiques juste bonnes pour les infidèles qui craignent les dieux, les démons et les génies des eaux et du sol. Vous, quel profit pourriez-vous en tirer?

"Ma propre substance est le fait de mon esprit,

Qu'irai-je la chercher dans les mots et les textes?" [moine Pao-Tche, contemporain de Bodhidharma]

Reconnaissez donc votre esprit dès à présent! Cela suffira à calmer  toutes vos pensées et vos concepts erronés jusqu'à ce que les misères de ce bas-monde, tout naturellement, n'existent plus.  (…) 

Toute activité est sujette à l'impermanence et toute force s'épuise. La flèche tirée en l'air se retourne en fin de course et retombe. Voilà qui revient encore et toujours à tourner en rond de mort en renaissance! Pratiquer de la sorte, c'est ne pas comprendre l'intention du Bouddha, c'est se donner beaucoup de peine en vain, c'est commettre une grave erreur, comme l'écrit maître Pao-Tche:

"Qui n'a rencontré un maître éclairé et dégagé du monde 

Absorbera en vain les potions spirituelles du grand Véhicule."

Vous n'avez désormais qu'une seule chose à faire: à tout instant, que vous soyez en train de vous déplacer ou que vous vous teniez debout, assis ou couché, étudiez le non-esprit sans jamais discriminer, sans vous appuyer sur rien, sans vous fixer nulle part, en restant tout le jour comme un idiot qui se laisse porter par le courant des choses. Personne au monde ne saura qui vous êtes, mais quel besoin aurez-vous qu'on vous connaisse ou qu'on vous ignore? Vous aurez l'esprit comme une pierre bien dure, sans la moindre fissure, et pourtant tout le traversera sans jamais s'y incruster, car vous serez trop bête pour que rien ne s'y accroche. C'est seulement de la sorte que vous pourez goûter quelque peu à la mystérieuse coïncidence. (…)

Depuis les temps anciens jusqu'à ce jour, le corps absolu a toujours été semblable aux Bouddhas et aux Patriarches, sans un atome de différence. Quand vous m'aurez compris, vous saurez combien il vous faudra de courage durant toute votre vie.

Il n'est pas garanti qu'après avoir expiré, vous inspiriez à nouveau. 

 

(Recueil de Wang-Lin (1), ch. 16.)