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MOMENT PROPICE
Autre texte moins connu de Shobogenzo
Moment Propice
Bouddha disait : "Pour saisir le sens de la nature de Bouddha, il faut juste voir les causes, les conditions et le moment propice. Quand vient le temps, elle apparaît (1)."
Dans la nature de bouddha, il n’est pas question d’un savoir, mais il est plutôt question d’une volonté, de pratiquer, de l’éprouver, de le prêcher, de l’oublier. La pratique, l’expérience, la prédication, l’oubli comme la compréhension juste ou la compréhension erronée, tout cela ne sont que les causes, les conditions et le moment propice. La manière de voir les causes, les conditions et le moment propice, c’est de les observer au moyen des causes et des conditions du moment. C’est juste voir avec les moyens d’un chasse-mouche et d’un bâton de pèlerin. La compréhension éclairée, l’aperception juste, l’éveil authentique ou non ne peuvent être perçus sous l’emprise des flux des passions ni au moyen d’une sagesse instable.
"Juste voir" n’a aucun rapport avec le sujet qui observe ou avec l’objet qui est observé comme il n’est nullement nécessaire de se référer aux notions de vision juste ou de vision erronée, c’est juste voir. Juste voir n’est ni une perception personnelle ni celle d’un autre, c’est au-delà de la notion de réflexion objective ou subjective. C’est voir au-delà des causes, des conditions et du moment propice. C’est la nature-bouddha dépouillée de tout contenu, alors bouddha est et la nature est.
Certaines personnes pensent — et c’est ainsi depuis toujours — que les causes, les conditions et le moment propice, concernent l’attente qu’il faut pour que nous vienne le moment adéquat ou que la nature de bouddha puisse apparaître. Ils prétendent que pratiquer dans cet état d’esprit suffirait pour que tout naturellement elle survienne au moment adéquat. S’ils se mettaient à étudier sous la responsabilité d’un Maître, à rechercher le Dharma ou encore à pratiquer avec détermination, elle ne se révélerait pas si ce n’était pas le moment adéquat. Les personnes avec un tel a priori espèrent que tout leur tombe directement du ciel. Elles sont du même acabit que ces incroyants qui prétendent que tout est une question de chance ou que tout ce qui arrive est l’expression spontanée de la nature (2).
L’expression 'pour saisir le sens de nature de bouddha' veut tout simplement dire « saisir le sens de la nature de bouddha dans l’ici et maintenant ». La formule 'voir les causes, les conditions et le moment propice' veut dire « être au fait des causes et des conditions dans l’ici et maintenant ». Si vous voulez connaître ce qu’est la nature de bouddha, vous devez être au courant du fait qu’il s’agit des causes, des conditions et du moment propice.
'Quand vient le temps' insinue que le temps est venu et qu’il n’y a pas à en douter. S’il y a des instants de doute — laissez passer — pourvu qu’ils nous révèlent cette nature de bouddha. Sachez que l’expression 'quand vient le temps' veut tout simplement dire qu’elle se manifeste à chaque heure du jour et de la nuit (3).
'Quand vient', c’est comme si on disait que le temps est déjà arrivé. Passer son temps à attendre que le temps vienne ne fait pas apparaître pour autant la nature de bouddha. Ainsi, puisque le temps est venu, ce qui est, est la manifestation indéniable de nature de bouddha. En quelque sorte, il n’y a jamais eu de moment qui n’ait pas été le moment propice et la nature de bouddha n’a jamais cessé de se réactualiser en nous.
1 - Mahaparinirvana-sutra, section 28.
2 - Dōgen fait référence à une école du temps du Bouddha dirigée par un certain Pakudha Kaccayânâ qui considérait les phénomènes comme des productions spontanées indépendamment de causes et de conditions.
3 - En Chine, un jour est divisé en douze intervalles de deux heures (voir le texte d’Uji de Maître Dōgen, section 20 suivant les traductions).
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