• TENBORIN: TOURNER LA ROUE DE LA LOI

    TENBORIN: FAIRE TOURNER LA ROUE DE LA LOITenborin a été donné par Dôgen à sa sangha en 1244. Dôgen part du fait suivant: des maîtres de la lignée se sont appuyé, dans leur enseigement, sur une phrase d'un sutra que beaucoup jugent apocryphe. 

     

     

     

     

     

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     転法輪

    Tenbôrin : tourner la Roue de la Loi 

    67ème chapitre du Shôbôgenzô.

     

     

     

     

    TENBORIN: TOURNER LA ROUE DE LA LOIMon ancien maître, l’ancien éveillé Tendô (Nyojo), monta en chaire et releva (le verset suivant) : « Le Vénéré du monde (le Bouddha) dit : “Si une seule personne déploie le Vrai1 et retourne à la source, l'espace des dix directions disparaît complètement dans un effondrement !” »

    Le maître, en triturant2 (ce verset), dit : « Puisque ceci est déjà l’enseignement du Vénéré du monde, nul n’a su éviter de s’engager dans une extraordinaire investigation. Moi, Tendô, je ne suis pas ainsi. Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, le mendiant casse son bol à aumône ! »

    L’abbé Hôen du mont du Cinquième Patriarche (Goso Hôen) dit : « Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, l'espace des dix directions se heurte avec fracas ! »

    L’abbé Busshô Hôtai dit : « Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, l'espace des dix directions n’est autre que le méta-espace des dix directions. »

    Le maître du zen Engo du mont Kassan, abbé Kokugen (Engo Kokugen), dit : « Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, l'espace des dix directions pose une fleur sur le brocart. »

    Le grand Éveillé3 dit : « Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, l'espace des dix directions déploie le Vrai et retourne à la source. »

    TENBORIN: TOURNER LA ROUE DE LA LOI« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source, l'espace des dix directions disparaît complètement dans un effondrement! », ce verset que relèvent maintenant (les patriarches) figure dans le Sûtra de la Concentration de la Marche héroïque. Ce verset fut jadis également relevé par nombre d’éveillés et de patriarches. À partir de maintenant, ce verset est vraiment les os et la moelle des éveillés et des patriarches, la prunelle de l’Œil des éveillés et des patriarches.

    Pourquoi dis-je cela? C’est parce que l’on considère le Sûtra de la  Concentration de la Marche héroïque en dix livres ou bien comme une fausse écriture ou bien non. Les deux hypothèses perdurent depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Quoiqu’il existe une ancienne et une nouvelle traduction (de ce sûtra), la traduction que l’on met en doute est celle qui fut réalisée à l’ère du Vrai Dragon.

    Et pourtant, voici maintenant que l’abbé En (du mont du) cinquième patriarche, l’abbé Busshô Tai, et mon ancien maître, l’ancien éveillé Tendô ont tous déjà relevé ce verset. C’est pourquoi celui-ci est déjà transformé par la Roue de la Loi appartenant aux éveillés et aux patriarches, il est la roue de la Loi que tournent les éveillés et les patriarches ! C’est pourquoi il transforme déjà les éveillés et les patriarches, et enseigne déjà les éveillés et les patriarches. Puisque ce verset se laisse transformer par les éveillés et les patriarches et qu’il transforme les éveillés et les patriarches, même s’il est d’une fausse écriture, si les éveillés et les patriarches l’ont relevé et transformé, c’est un vrai sûtra des éveillés, vrai sûtra des patriarches ; c’est la roue de la Loi appartenant intimement et depuis toujours aux éveillés et aux patriarches. Même s’il s’agit d’une tuile ou d’un caillou4, même s’il s’agit d’une feuille jaune (morte), même s’il s’agit d’une fleur d’Udumbara5, même s’il s’agit d’une robe de brocart, du moment que les éveillés et les patriarches les ont déjà triturés, ceux-ci sont tous la roue de la Loi appartenant à l’Éveillé, la vraie Loi, Trésor de l’Œil appartenant à l’Éveillé.

    TENBORIN: TOURNER LA ROUE DE LA LOISachez-le, si les êtres, en se transcendant eux-mêmes6, réalisent l’Éveil correct7, ceux-ci sont des éveillés et des patriarches, des maîtres et des disciples des éveillés et des patriarches ; ils sont la peau, la chair, les os et la moelle des éveillés et des patriarches. Comme ils ne tiennent plus pour frères les êtres qui étaient leurs frères jusqu’alors et que les éveillés et les patriarches deviennent frères des éveillés et des patriarches, même si les phrases et les propositions8 qui figurent dans les dix livres sont fausses, la proposition de ce présent est une proposition qui se transcende elle-même, c’est une proposition appartenant aux éveillés, une proposition appartenant aux patriarches ; ne confondez celle-ci ni avec les autres phrases ni avec les autres propositions. Même si cette proposition est une proposition qui se transcende et s’outrepasse elle-même, ne prenez pas l’ensemble des phrases et des propositions ainsi que la nature et l’aspect (du Sûtra de la Marche héroïque) pour le langage des éveillés, le discours des patriarches. Ne les considérez pas non plus comme la prunelle de l’Œil de votre étude de la Voie.

                Parmi nombre de principes de la Voie selon lesquels la proposition de ce Présent n’est pas à comparer à une multitude de propositions, relevez-en un et triturez-le. Ce qui est appelé la rotation de la roue de la Loi désigne le mode (d’existence)9 des éveillés et des patriarches, et il n’a jamais existé d’éveillés et de patriarches qui ne tournent pas la roue de la Loi. Comment la tournent-ils alors ? Ou bien ils relèvent et triturent la voix et les formes pour les perdre, ou bien c’est en se libérant et en se dépouillant de la voix et des formes qu’ils tournent la roue de la Loi. Ou bien c’est en arrachant la prunelle de l’Œil qu’ils tournent la roue de la Loi, ou bien c’est en relevant le poing qu’ils tournent la roue de la Loi. Là où ils prennent10 ou bien les narines, ou bien l'espace, voilà que la roue de la Loi tourne d’elle-même ! Prendre la proposition de ce Présent, ce n’est autre que de prendre maintenant l’étoile du matin, que de prendre les narines, que de prendre une fleur de pêcher, et que de prendre l'espace. Ce n’est autre que de prendre les éveillés et les patriarches, et que de prendre la roue de la Loi. Voilà que cet enseignement essentiel tourne avec clarté la roue de la Loi !

                La rotation de la roue de la Loi veut dire étudier la Voie avec ingéniosité, ne pas quitter la forêt durant toute la vie, demander l’enseignement et pratiquer la Voie sur la longue estrade de la méditation assise.

     

     

     

     

    Exposé le 27 du deuxième mois de la deuxième année de l’ère Kangen (1244), année du dragon, dans le temple Yoshimine-shôja de la province d’Etsu.

    Transcrit le 1er du troisième mois de la même année dans la salle du secrétaire dudit temple.

     

     

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    1. Le terme hosshin発真, traduit par « déployer le Vrai », est composé de deux caractères :hotsu/hatsu 発« déployer, (se) produire, lancer, s’épanouir », etc., et shin 真« réel, authentique, vrai, le Vrai ». Ce dernier, qui fonctionne dans ce terme hosshin pratiquement comme synonyme du terme shinnyo 真如« la Réalité telle quelle (skr.tathatâ) », forme un couple antonymique avec le caractère gi 偽« faux » du termegikyô 偽経« fausse écriture, apocryphe ». 
    2. Le verbe nen拈, qui veut dire « triturer, broyer, tortiller, manier », etc., revient au total quatre fois. Celui-ci rappelle bien évidemment la scène fondatrice de la Voie de l’Éveillé : « À ce moment-là, assis au milieu d’un million de fidèles rassemblés sur la Montagne sainte, l’Éveillé-Shâkyamuni tritura une fleur d’Udumbara et cligna l’Œil. » (Sûtra de la délibération dialogique du grand roi Brahman avec l’Éveillé [Daibonten-monbutsu-ketsugi-kyô]).
    3. Ici, Dôgen s’appelle lui-même le Grand Éveillé [Daibutsu] en raison de son second monastère ainsi nommé, monastère inauguré en 1244 dans la province d’Echizen. Celui-ci sera appelé dès 1246 le monastère de la « Paix éternelle: Eiheiji.   
    4. Évocation du kôan de Nanyô Echû  : « (…) Le moine s’enquit encore : Qu’est-ce donc que le cœur de l’Éveillé ? Le maître dit : La haie, le mur, la tuile et les cailloux. » (Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, Keitoku-dentôroku).
    5. L’arbre Udumbara (en sanscrit) est une espèce de figuier. On dit qu’une fleur d’Udumbara s’épanouit une fois tous les trois mille ans et, dans les sûtras bouddhiques, celle-ci désigne métaphoriquement l’événement rarissime comme la manifestation du Bouddha. Avec le verbe "triturer", la fleur d’Udumbara évoque la scène fondatrice de la Voie de l’Éveillé.      
    6. Le verbe chôshutsu 超出, traduit par « se transcender », est composé de deux caractères :chô 超qui veut dire « transcender » et shutsu 出« sortir ». Pour que les êtres se transcendent eux-mêmes, il faut qu’ils sortent d’eux-mêmes. Ce caractère shutsu 出 « sortir » est celui qui compose le terme shukke 出家« quitter la maison pour se faire moine ».
    7. Le terme shôgaku 正覚(skr.sambodhi), traduit par l’« Éveil correct », est un synonyme du terme tôgaku 等覚qui désigne l’« Éveil correct de l’Éveillé égal à tous les éveillés (skr. samyak sambodhi). »
    8. Le mot monku文句, littéralement traduit par les « phrases [mon/bun文] et les propositions [ku句] », peut être traduit par le « texte », ou l’« énoncé ». Par ailleurs, quand ce second caractère ku 句apparaissait tout seul dans la première moitié du texte, il est traduit, non pas par « proposition », mais par « verset ».          
    9. Le caractère gi儀, traduit par le « mode (d’existence) », désigne également « bonne manière, norme, modèle ». 
    10. Le verbe japonais toru とる« prendre » est pratiquement synonyme du caractère sino-japonais ko « relever ».

     

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