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84000 SUTRAS? Se repérer dans la jungle des Sutras
Comment sont compilés les sutras du Bouddha? Y en a-t-il autant qu'on le dit? Une explication du Tipitaka, les fameuses "trois corbeilles" et des autres sutras.
LES SUTRAS ANCIENS
Les écrits les plus anciens du bouddhisme, les paroles mêmes du Bouddha Shakyamuni, ont été sauvegardés et réunis dans un ensemble appelé le Tipitaka: les Trois Corbeilles. Le Tipitaka est composé de sutras, qui sont des discours tenus par le Bouddha ou parfois par ses disciples proches. Tous ces sutras sont écrits en pāli, langue proche du sanscrit qui était parlée dans le sud de l'Inde.
Au total, les trois corbeilles représentent peut-être 20 ou 30.000 pages!
Les trois corbeilles du Tipitaka sont:
1- Le VINAYA PITAKA ("la corbeille de discipline")
La première corbeille réunit les textes relatifs aux règles s'appliquant à la sangha, aux moines (bhikkus) et aux nonnes (bhikkunis). En plus des règles, le Vinaya relate les histoires à l'origine des règles: on voit de quelle manière le Bouddha maintenait l'harmonie dans la sangha. Il recèle aussi une quantité de procédures et de conventions d'étiquettes entre moines ou envers les laïcs.
le Vinaya se décompose ainsi:
1 - Suttavibhanga: expose les règles de comportements avec l'anecdote à l'origine de chacune.
2 - Le Khandhaka:
a - Mahavagga: comprend les règles d'étiquettes et en plus des soutras touchant la période qui a suivi directement l'Eveil du Bouddha, tels que des sermons au groupe des 5 ascètes, ou les récits relatant comment les grands disciples ont rejoint la sangha et comment ils ont atteint l'éveil.
b - le Cullavagga: règles de comportements des moines, leurs devoirs et les procédures 'disciplinaires' suite à des fautes commises dans la sangha.
3 - Parivara: un récapitulatif des sections précédentes classées de diverses manières suivant les besoins.
Vous aurez un bon aperçu du Vinaya pitaka en allant voir, dans cette même rubrique, l'article: "les 227 règles des moines et les dix kaï". En cliquant sur chaque règle, s'ouvre l'anecdote historique à la base de cette règle et la décision du Bouddha.
Le sommet du Pic des Vautours
2 - Le SUTTA PITAKA ("la corbeille des Sutras")
La deuxième corbeille comprend les plus connus des discours du Bouddha ou de ses proches disciples.
Le sutta pitaka comprend plus de 10.000 sutras donnés par le Bouddha ou ses proches disciples au cours de ses 45 ans de prèche. On compte environ 200 grands soutras; les autres font la plupart du temps seulement quelques lignes. Tous ces textes sont regroupés en 5 sections ("nikaya")
1 - Digha Nikaya ("la section longue, la section des longs discours") comprend 34 sutras, dont le fameux maha-satipatthana Sutta (sur la fixation de l'attention) mais aussi le dernier discours du Bouddha, etc.
2 - Le Majjhima Nikaya ("section moyenne, des sutras de moyenne longueur"): 152 sutras. La plupart des sutras traduits en français proviennent de cette section, par exemple le satthipathana Sutra, que vous trouverez sur ce blog.
3 - Le Samyutta Nikaya ("section des groupes de discours") contient 2889 sutras, rangés par thèmes en 56 chapitres (samyuttas)
4 - L'Anguttara Nikaya ("sections des facteurs ultérieurs"): 8777 sutras courts, regroupés en 11 livres ("nipatas"), suivant le nombre de sujets du dharma qu'ils touchent. il y a donc le "livre (abordant) un (sujet)", eka-nipata; le livre touchant deux sujets, Duka-nipata, etc. jusqu'à onze.
5 - Le Khuddaka Nikaya ("section des livres courts") est divisé en 15 livres (18 dans l'édition birmane), par exemple le très célèbre dhammapada; le Sutta Nipata comprenant les histoires de jatakas - les précédentes incarnations du Bouddha, etc.
La grotte de Sariputra sur le Pic des Vautours
3 - L'ABHIDHAMMA PITAKA ("la corbeille de l'abhidharma")
La dernière corbeille contient des textes développant et approfondissant les discours du Sutta Pitaka. Plus ardus, plus méthodiques, plus philosophiques, ces textes sont réputés difficiles. Les sept livres de l'Abhidharma dissèquent les principes qui régissent les processus mentaux et tous les phénomènes en général. Nous sommes ici dans l'aspect théorique du kharma, des liens de causalités, de l'apparitions des phénomènes physiques mais aussi des différents niveaux d'éveil.
Selon la tradition, le Bouddha a préché l'essence de l'Abhidharma la quatrième semaine suivant son Eveil. Sept ans plus tard, il aurait passé trois mois de suite dans l'un des royaumes des dévas, exposant dans son intégralité l'abhidharma devant des milliers de dévas, dont sa défunte mère la reine Maya. Chaque jour il regagnait brièvement le monde humain où il transmettait à Sâriputra l'essence de ce qu'il venait d'exposer. Sâriputra finit par l'exposer dans sa forme actuelle.
Certaines parties de l'Abhidharma furent récitées lors des premiers conciles bouddhistes, mais sa forme actuelle ne fut fixée définitivement qu'au 3ème concile (250 av. J.C.) date à laquelle on l'intégra au canon bouddhique.
L'Abhidharma n'a pas la même importance dans toutes les traditions bouddhiques. Il est particuliérement vénéré en Birmanie et au Sri Lanka, mineur en Thaïlande, et n'est guère lu dans le Mahayana.
L'Abhidharma est divisé en 7 livres mais l'essence de son enseignement se concentre d'abord dans le premier (le Dhammasangani, "énumération des phénomènes") et le septième, le Patthana ("le livre des relations").
1 - le Dhammasangani ( "énumération des phénomènes"). Il décrit toute la réalité de tous les dharmas, les 52 facteurs mentaux, les 89 états de conscience qui en découlent, les 4 éléments physiques de base et les 23 phénomènes physiques qui s'ensuivent, ainsi que le Nirvana.
2 - le Vibhanga ("le livre des traités") reprend le livre précédent sous forme de catéchisme.
3 - le Dhatukatha ("discussion sur les mondes") répète les précédents livres sous forme de question/réponse.
4 - le Puggalapannatti ("description des particuliers") parle des différentes typologies psychiques.
5 - le Kathavatthu sous forme de questions/réponses clarifie des points de débats entre différentes écoles du hinayana. Il date du 3ème av.J.C.
6 - le Yamaka, jamais traduit ni en anglais ni en français. Il s'agit d'une analyse logique de différents concepts.
7 - le Patthana ("livre des relations") comprend plus de 6000 pages. Il décrit les différentes lois de causalités et de condtionnements à travers lesquels tous les dharmas interagissent, donnant lieu à tous les phénomènes dans tous les mondes différents.
LES SUTRAS DU MAHAYANA
Les sutras du Bouddha Shakyamuni conservés par le courant mahāyana sont appelés Aghama. Les textes ont d'abord été consignés en prakrits (langues usuelles, dérivées du sanscrit, dont le pāli, par exemple) puis traduit en sanscrit, langue de culture, puis en chinois et ultérieurement en japonais, coréen, etc. L'empereur de Chine a envoyé à de nombreuses reprises des moines traduire des sutras en Inde, ou bien a grassement rétribué tel ou tel traducteur connu. Ces textes recoupent le sutta pitaka de la triple corbeille: leur authenticité est donc bien établie.
En dehors des sutras issus des trois corbeilles, il existe aussi de nombreux autres sutras (kyo en japonais) qui ne sont pas du Bouddha Shakyamuni historiquement, quoiqu'un certain nombre lui soit attribué. Ils ont été composés des siècles après, au cours du premier millénaire de notre ère. D'autres sont anonymes ou issus de grands maîtres mais portent l'appellation de 'sutra' car ils sont considérés comme des textes 'canoniques', autrement dit des textes fondamentaux pour qui veut approfondir sa pratique.
Les sutras attribués au Bouddha sont censés être des enseignements qu'il aurait dispensé aux plus avancés de ses disciples, enseignements qui se seraient transmis secrétement pendant des siècles; certains soutras auraient été révélés par des êtres d'autres mondes, tels que les Nagas. (La chose est courante au Tibet. Certains maîtres appelés Tertön redécouvrent des textes, soit cachés pendant des siècles, soit inspirés par des Dhakkinis, des Rakshasas ou autres esprits vivant dans d'autres mondes, qui leur transmettent des enseignements)
Ces sutras sont le fruit du Mahāyana, qui considère que le Tipitaka est destiné à un auditoire moins avancé (les adeptes du Hinayana).
Selon une théorie développée à partir du 2ème siècle après J.C., le Bouddha aurait tourné trois fois la roue du Dharma, les trois tours correspondant chaque fois à un niveau plus profond d'enseignement.
Le premier tour est donc le canon classique du Hinayana, le Tipitaka, insistant sur les règles, une conduite morale très stricte avec une franche tendance ascétique, et un idéal de renoncement au monde.
Le deuxième tour est constitué par des textes du type Prajnaparamita / Hannya Shingyo, enseignant l'idée de vacuité fondamentale, d'absence de noumène des phénomènes comme surgissant tous de ku, du vide: tous les phénomènes comme perception des sens sont illusion - des "fleurs du vide". La notion de Boddhisattva y est également abondamment développée.
Le troisième tour développe la notion de tathāgatagharba: l'esprit de Bouddha, l'ainséité, se trouve partout; tout le monde, tout phénomène a par essence la nature du bouddha, de ce qui est ainsi. Il n'y a rien à rejeter, rien à chercher, mais simplement demeurer dans le présent en laissant passer les pensées. Le sutra transmis à Eka par Boddhidharma, la Lankavatara sutra, fait partie de ce troisième niveau d'enseignements, ainsi que toute l'école du ch'an et le Zen. Au sein de ce troisième tour du Dharma se développe la "folle sagesse", une attitude au delà de la morale ordinaire, qui tranche avec la morale très stricte du Petit Véhicule.
Citons parmi ces sutras qui n'appartiennent qu'au Mahāyana: le sutra du Lotus, le sutra du Coeur, le sutra du Diamant, l'Enseignement de Vimalakirti (Vimalakirtinirdesa sutra), ou encore le sutra de l'Estrade de maître Eno, et comme on l'a vu le Lankavatara sutra.
"MU" (le vide)
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